UN TEL ETALON NE PEUT DETALER SANS RAISON (Instrumental- PM -La Garde-Freinet 1973)
NOTES :
L'autoharpe.
Anton Karas, la cithare autrichienne et le troisième homme : Un homme, un instrument de musique et un film culte. Trois éléments Indissociables.
Pauvre Anton Karas ! Voilà un musicien qui fût condamné à jouer toute sa vie la même rengaine pour gagner sa croûte. Il m’arrivait de penser à lui lorsque j’empoignais mon autoharpe pour jouer le morceau. Je n’en connaissais qu’un seul. Même pas baptisé. C’était LE morceau à l’autoharpe. Obligatoire. Car assurant un succès garanti devant les clients des restaurants du bord de mer. Cette petite cavalcade débridée autant qu’inattendue sur les cordes, au milieu des bruits de fourchettes et de mandibules en émoi avait le don de détourner l’attention des mangeurs de pizza farigoulette. Et immanquablement, au moment de passer le chapeau, il y avait toujours un blaireau pour poser me la question fatale :
- Mais dîtes moi jeune homme, quel est ce curieux instrument dont vous jouiez tout à l’heure ?
En bon professionnel manchard, j’avais, bien sûr, plusieurs réponses formatées, adaptables selon les circonstances en fonction de la tête du client. Il y avait la version courte expédiée en deux cuillères à bouillabaisse pour les pingres ou les frimeurs (souvent les mêmes). Mais j’avais également une version type encyclopédique réservée aux postulants musicologues en bermudas. Version utilisée uniquement dans des cas extrêmes et dans le but résolument cynique d’attirer dans le chapeau quelques pièces, voire un billet supplémentaire.
- Cet instrument s’appelle une Autoharpe ! En fait à l’origine, c’était une cithare autrichienne. Vous connaissez la cithare Autrichienne ? La musique du troisième homme, le film avec Orson Welles ? Oui ? Vous vous souvenez alors de cette scène dans la Grande Roue à Vienne ? Et le musicien dans la fête foraine, Anton Karas, qui joue cet air qui revient tout au long du film (je chantonne l’air). Bon. Eh bien, figurez vous que ce sont des autrichiens, émigrés aux Etats-Unis qui l’ont importé là-bas. Mais c’est dans les Appalaches, que des américains, toujours pragmatiques, ont eut l’idée, pour accompagner leurs chansons, de rajouter un clavier au dessus des cordes de cet instrument. Lorsqu’on appuie sur un bouton, cela étouffe les notes qui ne font pas parti de l’accord. Ainsi on ne peut pas jouer faux, c’est pratique ! Voilà comment est née l’autoharpe ! Et figurez-vous que c’est un néo-zélandais, Graeme Allwiright qui l’a fait connaître ne France dans les années soixante…
Dans le meilleur des cas, il m’arrivait de faire une petite démonstration et même quelque fois de confier l’instrument au Monsieur qui pouvait parader alors devant sa dame (légitime ou non) le temps d’un gratouillis séducteur. Bizness is bizness.
Hesturinn !
Un jour que nous devions descendre faire notre tournée habituelle de restaurants sur la côte, nous trouvons une jeune auto-stoppeuse blonde de chez blonde en faction à la sortie d’un village. Nous chargeons bien sûr la fille, son parasol et son nécessaire à bronzette, à bord de notre puissant véhicule diésel,
Nous amorçons un dialogue convenu et basique dans un anglais, plutôt poussif pour nous, beaucoup plus fluide pour elle. C’est pile au moment où elle nous révèle sa nationalité islandaise qu’un magnifique cheval blanc surgit sur le côté de la petite route…
- Hesturinn ! je braille subitement en tendant le bras à travers la portière.
- Ooooh ! Taliđ þér islenzku ? Gođur ! me répond-elle avec un large sourire. (Oh mais vous parlez islandais ? Super !)
Devant mon cri de Viking, l’étalon a détalé aussi sec. Craignant probablement une nouvelle attaque des Normands.
L’islandais. Une langue parlée par environ 350 000 personnes (autant dire une petite préfecture française). Hesturinn. L’unique mot que j’avais retenu de cet idiome de viking après un bref apprentissage. Juste le temps d’assouvir une passion violente autant que passagère pour ce gros volcan au milieu des mers glacées. Hesturinn ! Ca veut dire Le cheval. Pourquoi ai-je retenu ce mot ? Parce que je crois me souvenir qu’il était dans la première leçon de la méthode que j’avais alors utilisée.
Hesturinn ! Hors d’Islande, la probabilité de rencontrer un ou une islandaise et un cheval en même temps, pour prononcer ce mot à bon escient devait être de l’ordre de un pour quelques milliards. Et le miracle venait de se produire à l’instant. J’en suis resté silencieux et perplexe tout le reste du trajet.
Nous avons livré la belle islandaise aux ultra-violets ravageurs du soleil méditerranéen. Elle a du nous dire en partant « Þakkir ! » Et aussi « veriđ Þer sælir ! ». J’ai du répondre par un « Jà, Jà ! » furtif.
Le soir même, j’ai baptisé du nom d’« Hesturinn » mon unique morceau à l’autoharpe.
Plus tard, lassé du morceau, j’ai retiré le clavier à l’instrument et je l’ai délaissé honteusement. J’ai même chassé de ma mémoire mon unique mot d’Islandais.
Beaucoup plus tard encore, au moment même de faire l’inventaire ici présent, j’ai retrouvé cette petite cavalcade à l’autoharpe au milieu d’autres morceaux de cette époque. Mais, j’avoue, j’avais oublié le mot « hesturinn ». Je me suis juste souvenu de cette histoire d’étalon qui détalait. Et qu’il devait bien y avoir une bonne raison pour ça, non ?
(Par bonheur, j'ai mis la main sur mon petit manuel d'islandais. J'ai pu ainsi retrouver l'identité de mon cher cheval et égaklement placer quelques mots de cette langue bizarre dans ce dans le texte ci-dessus, avec ces drôles de lettres archaïques).