CHANTS DE GORGE (Théatre de la Ville, Paris 1999).
[Ô Santiag !] Extraits
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Ainsi, au lieu de vous narrer ma lointaine épopée sur les chemins Navarrais, j’en suis réduit à vous parler de la Kalmoukie. Un pays aux confins de la Mer Caspienne. Ancienne région autonome de l’Union Soviétique. Population d’origine vaguement mongole déportée par Staline. Je n’en sais guère plus. Si ce n’est qu’on y pratique encore le chant diphonique. Une technique ancestrale en voie de disparition et dont l’un des derniers et incontestés représentants, Okna Tsahan Zamest, est là. Devant nous. A quelques mètres. Il s’assoit en tailleur. Sur un grand tapis d’Orient. Une femme l’accompagne. C’est elle qui maintiendra la continuité modale en effleurant les cordes d’une cithare au nom local imprononçable.
Un son rauque sort du plus profond de la gorge de l’homme. Je ne peux m’empêcher de penser à ma mère. Je viens de la quitter. Elle aussi émettait des sons de gorge. Dans son sommeil. Mais chez elle, rien d’artistique. Une souffrance à l’état pur…
L’homme, semble chauffer sa gorge. L’accorder sur le mode défini par son accompagnatrice. On dirait également qu’il cherche une ouverture. Une fenêtre dans cette caverne vocale. La voix reste encore un moment dans de curieuses ténèbres harmoniques. Se stabilise. Et puis soudain surgit une seconde voix. Du même homme. De la même gorge. Une voix aiguë. Qui s’envole. Batifole. Rebondit sur des mélodies pentatoniques. L’homme s’est dédoublé. Ténèbres et lumière. Clair obscur en lui-même…
Entracte. L’homme salut. Le public parisien applaudit. L’homme revient après s’être désaltéré. Salut de nouveau en embrassant le public. Et quitte la scène.
Et moi, je repense à ma mère sur son lit d’hôpital. Cherchant son air. Face à mon attitude amorphe, ma compagne perçoit mon inquiétude. Elle me parle. Je ne lui réponds pas. Elle sent que j’ai du mal à supporter mes voisins de fauteuil et leurs réflexions de blasés de branchouillards. Alors elle m’entraîne hors de la grande salle. Elle pousse une porte dans le recoin d’un couloir. Et nous pénétrons dans un grand salon vide. Le salon est flanqué d’une baie vitrée. Dehors : la Tour Saint Jacques !
Je suis face à face avec la Tour Saint Jacques. A la première loge.
Ma mère malade. Le chanteur Kalmouk. Et maintenant la Tour Saint-Jacques. Lieu de départ parisien du Camino Réal. Que signifie tout ça ? Y a-t-il quelque chose à lire là dedans ? Dans cette trilogie incongrue ? J’observe la Tour. L’ancien clocher de Saint-Jacques de la Boucherie. Orphelin de son église. Je regarde là-haut les appareils de mesures de la Météorologie Nationale. Les capteurs d’air. Et je repense à ma mère, cherchant le sien. Les tourniquets mesurant la vitesse du vent. Les gargouilles. Je me souviens avoir acheter une fois une petite copie de gargouille en plâtre pour la fête des mères. Je devais avoir huit ou neuf ans. Tous les gamins de l’immeuble avaient acheté des gargouilles pour leurs mères. Même mon copain Marcel.
Dans le square de la Tour Saint Jacques, un type un peu déglingué avec un chapeau de paille gratouille sur une guitare. Tout seul. Il chante. Bien sûr, on n’entend rien. On voit seulement le mouvement de ses lèvres. Et l’expression de son visage. On dirait qu’il s’adresse à la Tour. Qu’il lui fait une offrande. Une nuée de pigeons virevolte autour de l’ancien clocher.
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